Napoléon et Paoli à table

 

Napoléon et Paoli à table  

 

Billet de Jean François Marchi  

 

Retour aux Archives de septembre 2016

Retour aux Archives des Billets

Étaient-ils des gastronomes ? Je me le suis souvent demandé en me posant la question de leur régime alimentaire. Ce sont deux grands hommes, certes, et ceux-ci ont aussi leur faiblesse. Qu’est ce qui de leur caractère pouvait me laisser penser qu’ils avaient du goût pour la cuisine ? Pas grand chose, si l’on excepte notre origine commune qui nous ramène aux plats que préparaient nos mères.

 

S’ils aimaient quelque chose, je sens que c’est de la Corse qu’ils en retiraient le goût. De l’Italie aussi. Napoléon s’est toujours fait livrer du Parmesan à quelque endroit qu’il se trouvât, et n’ayons garde d’oublier que Pascal Paoli vécut son enfance à Naples.

S’il est vrai, comme l’a écrit Frédéric Nietzsche, que l’homme pense comme il digère, ce qu’il ingère influe-t-il cette pensée ?

Amoureux du monde latin au point de préférer Carmen à Parsifal, ce qu’on peut comprendre malgré l’Arturolâtrie du temps présent, l’oncle Frédéric, n’en déplaise à Madame Merkel, en avait tiré la conclusion que les buveurs de vin étaient supérieurs aux buveurs de bière.

C’est ainsi qu’en avance sur bien des sujets telles la psychanalyse et la physique, Nietzsche une fois encore avait anticipé l’agression de la couche d’ozone par le C02. Tout aussi précurseurs, nos deux militaires sont les inventeurs de la démocratie européenne, et la question se pose de savoir si ce qu’ils mangeaient a déterminé leur être profond. On imagine mal chacun de ces deux hommes d’État s’adonnant à la gastronomie comme Hercule Poirot fait les honneurs de sa table à Hastings. Ils n’ont pas l’air gourmand. Je dirai plutôt que si Napoléon n’a pas l’air d’un gourmand, Pascal Paoli en revanche garde un côté vieux chat qui laisse penser qu’il conserve par devers lui quelques recettes secrètes.

 

Pour Napoléon on a lu Jean Tulard, Louis Madelin, Louis Chardigny, le commandant Lachouque et beaucoup d’autres. On sait que ses repas étaient courts, qu’il mangeait souvent du poulet grillé et pour tout dire qu’il n’aimait pas perdre son temps à table. Là encore il faut être prudent, il n’aimait pas perdre son temps dans des repas interminables au cours desquels il lui fallait supporter soit sa famille, surtout ses sœurs, soit ses ministres. Cela ne veut pas dire qu’il n’aimait pas certains plats mais certainement qu’il préférait la compagnie de ses soldats.

 

L’éternel exilé, si l’en excepte le temps où il dirigea les affaires de la Corse, que fut Paoli, nous laisse penser qu’il a été souvent retenu à table par ses hôtes. Que ses hôtes fussent napolitains ou le roi d’Angleterre. C’est en tout cas passer des Bourbons aux Orange. La table y était certainement raffinée. Ce sont tous deux des militaires mais pas le même genre de militaires. Il y a du César chez Napoléon, il y a du Lycurgue chez Paoli. On imagine mieux Napoléon se satisfaire d’une patate au lard cuite dans la graisse de canon que dîner aux tuileries avec les somptueux Cambaceres, Talleyrand, Fouché , ainsi que la clique de parasites, sa famille comprise, qu’il régalera toute sa vie. J’imagine en contrepoint le sage de Morosaglia se délecter d’une garbure aux blettes comme le spartiate qu’il était.

 

Mais tous deux très certainement puisaient une partie de leur ressort imaginaire dans les parfums de cette cuisine que la Corse a su créer en marge des terres provençales et italiennes. Tous deux militaires, tous deux italiens, leurs goûts n’étaient certainement pas très éloignés bien qu’il fallut toute la rouerie de messieurs Mallet et Isaac pour inventer une histoire républicaine où l’un des deux serait resté italien, quand l’autre, Général et Empereur des français, n’aurait été en somme qu’un français d’origine italique. Ce ragoût là n’a jamais été fameux et il est toujours difficile à digérer. Avers et endroit d’une même médaille, nos deux grands hommes n’étaient au fond pas si dissemblables j’en suis sûr, quant à leur goût profond puisé dans l’amour de leur terre.

 

Cela influença-t-il leur pensée ou cela en fut-il la conséquence, je ne saurai le dire. Je crois simplement que c’est leur quête de liberté qui leur permit l’envol.

 

PS. : Je n’ai pas parlé des vins : Champagne,Chambertin et Johannisberg pour Napoléon et peut-être Porto et Sherry pour Paoli.