Séance du 19 avril 2016 à la BnF

Séminaire Médias et médiations de la gastronomie

(XVIIe-XXIe siècles)

 

Organisé par le CHCSC

(Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines)

 

Littérature gourmande

par Dominique Wibault, Christine Ott et Carine Goutaland

 

Séance du 19 avril 2016

BnF

 

Billet de Marie Claude Maddaloni 

 

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Dominique Wibault (BnF), Actualités gastronomiques de la BnF

Christine Ott (Université de Francfort), Une affaire de goût. Le goût (du) naturel en tant que mythe identitaire

Carine Goutaland (UMR LIRE, U. Lyon 2), Huysmans et la gastronomie.

 

Dominique Wibault introduit la séance en présentant l’actualité de la politique d’éditorialisation du corpus gastronomique en cours d’élaboration au sein de Gallica, bibliothèque numérique de la BnF.

 

Christine Ott nous présente les 3 parties de son exposé :

1/Rousseau et le goût (du) naturel

2/Les disciples de Rousseau

3/Idéologie de l’alimentation naturelle aujourd’hui

 

1/ Christine Ott nous montre un Rousseau inquiet devant les cadeaux de nourriture (comme un panier de beurre, du vin, des confitures…) qui lui sont offerts. Cette inquiétude laisse paraître une peur de l’aliment trafiqué, antinaturel. De plus, il n’imagine pas les manger seul car le plaisir du goût ne se conçoit, pour lui, que partager. Mais, même dans le partage, il redoute les qualités morales des aliments qui peuvent déclencher chez lui comme une peur irraisonnée d’être mangé par les autres convives qui partagent ces mêmes aliments.

Pour lui, l’excès de nourriture ne produit que des hommes dissolus. L’agriculture, même, est une forme d’activité décadente car tout met raffiné ou simplement élaboré rend l’homme esclave. Il faut garder le goût primitif de l’enfance.

Mais il reconnait, malgré tout, que l’homme adulte doit se nourrir en conformité avec son activité physique. En revanche, les êtres faibles, les femmes doivent exclure le régime carné et se nourrir de laitages et de sucre.

Tout aliment a une forte valeur symbolique, comme le lait maternel qui permet de construire la relation mère – enfant.

 

2/ Au XIXe siècle, un certain puritanisme alimentaire se développe en Europe et aux États Unis. Le pain blanc, la viande, l’alcool doivent être éliminés. Le muesli, recette diffusée par Maximilian Bircher-Benner, médecin et nutritionniste suisse et inspirée par l’alimentation d’un berger de montagne, est le symbole même du retour à la nature : nourriture crue, proche de la bouillie et composée de céréales, fruits, miel, lait. Les cercles végétariens l’adopteront comme un modèle de nourriture.

 

3/Et aujourd’hui ? D’autres modèles se développent dans lesquels la nourriture devient un acte symbolique. On fait entrer la spiritualité dans l’alimentation, comme dans le véganisme où sont exclus la viande, le poisson, tous les produits laitiers, les œufs, le miel. Christine Ott fait remarquer que ce mouvement rassemble majoritairement des hommes jeunes, contestant toute contrainte de la société. Ou encore l’orthorexie, dont les adeptes tendent à restreindre au maximum leur alimentation aux aliments qu’ils jugent absolument « purs ». Les stratégies « marketing » savent aussi se servir de l’esprit nature. C’est ainsi que les « smoothies » (jus de fruits ou de légumes) ont connu depuis quelques années un développement certain grâce à leur image de boisson saine et naturelle, en opposition aux sodas nocifs.

 

Carine Goutaland rappelle, en introduction, que Huysmans, dans ses premiers romans, était proche du courant naturaliste de Zola et les rencontres chez ce dernier à Médan donnaient lieu à des soirées très débridées.

Pourtant le plaisir de manger est presque toujours absent dans ses romans.

L’exposé de Carine Goutaland est divisé en 4 parties :

1/ « Immonde mangeoire moderne » dans l’enfer des gargotes

2/ L’envers du modèle alimentaire bourgeois

3/ Physiologie du dégoût

4/ Une esthétique de la dyspepsie

 

1/Avec la nouvelle À vau-l’eau (1882), Huysmans écrit un véritable anti-guide gastronomique. De gargote en gargote, le héros vit un échec alimentaire permanent.

« Eh bien, donnez-moi un Roquefort ». Et Jean Folantin…fit la moue, ne doutant pas qu’il allait manger un désolant fromage ; son attente ne fut nullement déçue ; le garçon apporta une sorte de dentelle blanche marbrée d’indigo, évidemment découpée dans un pain de savon de Marseille. »

Et ce même héros d’évoquer « les abjects apéritifs des cafés : - les absinthes puant le cuivre ; les vermouths : la vidange des vins blancs aigris ; les madères : le trois-six coupé de caramel et de mélasse ; les malagas : les sauces des pruneaux au vin ; les bitters : l’eau de Botot à bas prix des herboristes ».

 

2/ Dans le roman En ménage (1881), le cadre familial du repas selon le modèle de l’époque révèle une certaine complaisance dans la bassesse alimentaire que méprise Huysmans.

« …et il ajouta en s’enfournant une bouchée de poisson qui sentait le linge : c’est égal, il y a des gens bienheureux…Nous, rien du tout. Nous sommes les malheureux qui allons éternellement chercher au dehors une part mesurée de fricot dans un bol ! ».

3/ Digestion, excrétion, maux d’entrailles, la nourriture est chez Huysmans rapprochée de la notion d’ordure. Les aliments sont assimilés à des médicaments ou pire parfois à des poisons.

 

4/ Cosmogonie de l’indigestion, raffinement dans le dégoût. Le ventre est au centre de l’œuvre de Huysmans. Carine Goutaland pense même qu’il existe chez Huysmans une certaine poétique de la nausée. « En dépit de sa résignation, le moment vint où certains plats lui donnèrent des nausées. Il tâtait maintenant de toutes les pâtisseries brûlées ou gâtées par les cendres ; il pêchait de vieilles boulettes de tourtes dans tous les plats… ».