Les délices de Tokyo

 

Les délices de Tokyo  

 

Réalisateur: Naomi Kawase  

Billet de Vincent Chenille  

 

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Des films récents sur la gastronomie, c’est du film américain Chefs de John Favreau, que se rapproche le plus ce Délices de Tokyo, par sa recherche de l’authenticité et de la liberté pour retrouver un peu de créativité. Dans Chefs, le cuisinier quittait son restaurant réputé de cuisine internationale pour partir cuisiner de façon itinérante dans un food truck à partir de produits locaux. Dans Les délices de Tokyo, la question du mélange culturel ne se pose pas : il s’agit bien de plats japonais. Cependant, il y a une recherche de l’authenticité à travers les ingrédients. Habituellement, ce marchand de dorayaki, pâtisserie japonaise constituée de pâte et de haricots confits, confectionnait lui-même la pâte de froment, mais commandait les haricots confits de façon industrielle. Une rencontre avec une Japonaise retraitée l’amènera à fabriquer lui-même les haricots confits, même si ce n’est pas facile et que cela prend du temps, tout simplement parce que le goût en est meilleur. L’indépendance, il la gagnera en refusant de suivre le projet de sa propriétaire qui veut faire de son échoppe de dorayaki artisanaux, une boutique plus moderne de sucré/salé où les dorayaki côtoient les okonomiyaki, en nourriture préfabriquée. Il partira donc vendre ses dorayaki artisanaux de façon itinérante, dans des squares.

Il n’y a pas de quoi se réjouir dans ces Délices de Tokyo. Certes, il y a la très belle préparation des haricots confits au milieu du film, et les clients qui s’en régalent, toujours plus nombreux chaque jour. Il y a aussi cet espoir d’authenticité et d’indépendance, mais il n’apparaît que dans le tout dernier plan. Ce n’est donc qu’une faible lueur. Entre temps madame Tokue, qui avait donné le secret des haricots confits à Sentaro, meurt et les clients ont disparu. Un crève-cœur pour le cuisinier, qui perd celle qui était devenue son point de référence, ainsi que l’espoir de payer sa dette à la société. Lui qui rêvait de tenir un bar a vu ses espoirs envolés lors d’une bagarre avec un client, qu’il a rendu handicapé. Sa dette envers la société, il l’a payée d’abord par de la prison, puis par cette gérance de la boutique de dorayaki, pour la propriétaire. Du côté de madame Tokue, ce n’est pas plus réjouissant. Elle décède, après avoir connu une joie immense. Elle rêvait depuis longtemps de travailler dans une boutique de dorayaki, de servir des clients. C’est le jeune homme qui lui a permis de réaliser ce rêve. En retour, elle lui a livré le secret des haricots confits. Mais aux deux tiers du film cet espoir disparaît. Car quelqu’un a livré le secret de madame Tokue. Comment, en effet, détenir le secret de fabrication des dorayaki depuis une trentaine d’années sans avoir jamais travaillé dans un commerce de dorayaki ? Depuis la fin de la guerre, madame Tokue a en effet vécu dans une léproserie. Elle n’a gardé de sa maladie que des doigts déformés, mais encore agiles. Depuis 1996, le gouvernement japonais a mis fin à la quarantaine des lépreux, alors qu’ils n’y avait plus de risque de contamination depuis fort longtemps. Malgré cette levée de quarantaine, c’est la crainte qui habite les habitants de ce quartier de Tokyo, qui ne veulent plus manger de ces dorayaki qu’ils trouvaient délicieux, parce qu’ils ont été fabriqués avec les mains d’une lépreuse guérie.

L’espoir qui demeure à la fin du film est créé par cet homme, malgré la société. Cet homme a fait confiance à cette vieille dame, parce qu’il a goûté les haricots et les a trouvé bons, et parce qu’il l’a conservé comme employée, alors que sa propriétaire lui avait demandé de la renvoyer, ayant appris sa résidence à la léproserie. C’est le bon goût et le refus de l’opinion qui, pour finir, créent cet espoir. Un espoir fragile puisqu’il a déjà tué madame Tokue.

Si le film parle des marges, il ne témoigne pas d’une velléité de la société japonaise de finalement les intégrer. Et la question des micro-organismes semble mettre plus en marge que celle des délits de droit commun. Le partage des microbes, à travers la nourriture, semble peu accepté. Entre Les délices de Tokyo et Notre petite sœur, deux films sortis à la suite, nous avons le portrait d’une société japonaise, à travers l’alimentation, qui, certes, ne s’inquiète pas de la mondialisation, mais qui se montre irresponsable et soumise aux préjugés. Pas de quoi se réjouir…