A Vif

 

A Vif de  

Réalisateur: John Wells 

Billet de:  Vincent Chenille

 

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Le film américain de John Wells traite davantage de cuisiniers que de cuisine. Néanmoins, elle n’est pas absente ni de l’image ni du discours, et le titre du film l’évoque en partie. Le cuisinier américain Adam Jones jette son dévolu sur un restaurant londonien pour y pratiquer la cuisine « à l’ancienne », c’est-à-dire avec des aliments cuisinés sur le feu, la seule garante selon lui de la saveur des aliments. Il se démarque de la cuisine moléculaire (il met en boîte son ami pour un steak réchauffé à la lampe). Il se démarque aussi de la cuisine mijotée sous plastique. Mais il se heurte avec son équipe à la rapidité de l’exécution et du service. Le plat exécuté doit être servi aussitôt (et les commandes arrivent toutes en même temps). Il conclut donc un compromis avec des plats cuisinés à vif, mais maintenus au bain-marie, sous plastique.

S’il officie dans un grand restaurant, il constitue son équipe aussi bien dans un bon restaurant italien que dans un kebab de quartier, quitte à s’opposer à ceux qui refusent de manger dans un fastfood, parce que c’est trop gras, trop salé. Il défend la cuisine de paysan, en faisant remarquer que le bourguignon a aussi le défaut d’être trop gras et trop salé. On y trouve donc de tout quant aux aliments, bœuf, porc, flétan, turbot, légumes. A une amie, il prépare de la mozzarella végétarienne, et à son mari, un plat de viande aux escargots, bien que ceux-ci soient considérés comme « ringards ».

La cuisine française fait partie de la culture d’Adam Jones, puisque c’est à Paris qu’il a été formé par Jean-Pierre et qu’il a aussi tenu son premier restaurant. La plupart des membres de son équipe sont des Américains et des Anglais formés par Jean-Pierre (il y a un Français), dont on apprend le décès au début du film. Si la cuisine française est donc bien représentée (ainsi que la langue), les cuisiniers français sont des fantômes. On apprécie qu’un film américain ne catalogue pas les personnages français comme des méchants, si ce n’est qu’aux trois quarts du film le cuisinier français épice délibérément trop les plats, qui sont renvoyés en cuisine par les clients : parmi eux des « critiques du guide Michelin ». Pourquoi le cuisinier français a-t-il fait cela ? Par vengeance. A Paris, il tenait un restaurant qu’Adam Jones avait réussi à faire fermer en y amenant des rats et en prévenant les services d’hygiène.

A vif ne met pas en cause la vengeance du cuisinier français, mais jette un doute sur la mauvaise réputation de la cuisine française (celle de la putréfaction) répandue par des Américains. Pourquoi Adam Jones avait-il agi ainsi ? Pour être considéré comme le meilleur, pour écarter la concurrence. Au début du film, lorsqu’il fait son come-back à Londres, Adam Jones continue à saper la concurrence en allant manger dans certains restaurants et en se plaignant de la nourriture. Une attitude qu’il paye donc en embauchant le cuisinier français, qui promet de l’aider à obtenir sa troisième étoile, tout en travaillant contre lui. A vif critique la compétition entre les cuisiniers, parce que c’est une perversion. Elle n’aboutit pas à donner aux clients la meilleure cuisine possible, puisqu’elle oblige un bon restaurant à fermer ses porte. Mais aussi parce qu’elle détruit les liens sociaux et les individus. Le titre A vif illustre bien la pression que met Adam Jones au moment du coup de feu sur ses cuisiniers : les assiettes qu’il balance de colère, parce que le plat n’est pas parfait, les cuisiniers qu’il saisit par le col. Déjà, à Paris, Adam Jones avait manifesté son autoritarisme. Son incapacité à obtenir ce qu’il souhaitait avait entraîné son autodestruction. Fiction ? Comment ne pas penser à Bernard Loiseau et à sa fin tragique à la suite d’une étoile retirée ? A vif, qui a tous les traits de la comédie culinaire avec le chef en voie de réussite sociale et la rencontre avec une probable compagne, est plutôt une peinture sociale et psychologique d’un homme et d’un métier subtilement présentés. Le film n’y fait pas allusion, pourtant dans la ligne de mire du film, il y a les émissions culinaires de téléréalité, où l’intérêt pour le spectateur, faute de pouvoir goûter les plats, est de savoir qui est le meilleur.

A vif est une comédie dramatique, donc avec des éléments de comédie et d’autres, de drame, mais pour finir, il ne se termine pas mal. Le lien social se recrée, la cuisine redevient un travail d’équipe avant que d’être la seule promotion d’un individu, Adam Jones se fait plus apaisé. L’esprit de compétition a disparu, mais pas celui de concurrence ni de perfection. Tombé une nouvelle fois au fond du trou après l’affaire du guide Michelin, Adam Jones est récupéré par son concurrent le plus direct, celui avec lequel il a échangé le plus d’insultes. Pourquoi tant de magnanimité : parce qu’Adam Jones est un bon cuisinier et que tous ses concurrents progressent grâce à lui. Il est même le meilleur, parce qu’il entraîne vers des territoires culinaires encore inconnus. Adam Jones a néanmoins un curseur gustatif dans sa quête et c’est la devise de Jean-Pierre, son mentor : « Dieu a créé les huîtres et les pommes et le but de la cuisine est d’essayer de faire aussi bien ».