Les nourritures

 

Les Nourritures, Philosophie du corps politique 

Auteur: Corine Pelluchon 

Editeur: Seuil, 2015 

Billet de Marie-Claude Maddaloni  

 

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Le sous-titre de cet ouvrage résume bien la pensée de Corine Pelluchon.

Le corps humain en tant qu’organisme devient un acteur politique dans la perspective d’une philosophie de l’existence « intégrant ce que l’écologie nous enseigne sur le « vivre de » ». L’objectif de l’auteur est donc de démontrer que « manger, c’est …être d’emblée dans l’éthique et la politique » puisque cet acte établit un rapport de responsabilité avec les autres, humains et non-humains. Comme chez Emmanuel Lévinas, auquel l’auteur fait souvent référence, et contrairement à la pensée de Martin Heidegger, il est question, aujourd’hui, de l’existant, non de l’existence, dans une nouvelle perspective de la philosophie du sujet.

Dans une première partie appelée « Phénoménologie des nourritures », Corine Pelluchon analyse le rapport entre le corps et ce monde-aliment. La jouissance du goût, la valeur artistique de l’alimentation comme dans la cérémonie du thé à laquelle Corine Pelluchon consacre plusieurs pages, le fondement écologique de l’existence comme l’exprime dans son œuvre Tetsurô Watsuji qui inspire Corine Pelluchon, la culture de la nature au travers de l’agriculture, l’empathie pour le monde animal sont des manières de penser ce monde. Mais il ne s’agit pas d’éluder, à l’opposé, les désordres alimentaires que représente le problème de la faim et de la malnutrition. Corine Pelluchon met en garde contre le discours productiviste et dénonce le système économique international et les règles du marché mondial.

 

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, « Un monde commun à instituer », Corine Pelluchon propose des pistes pour construire une société où « la politique est inséparable de l’espoir d’une vie meilleure…[où] la justice est inséparable du goût, c’est-à-dire de la capacité à reconnaître la beauté du monde ».

Elle analyse dans un premier chapitre intitulé « Un nouveau contrat social » les théories classiques du contrat, de Thomas Hobbes à John Rawls, en passant par Jean-Jacques Rousseau et John Locke. A partir de cette analyse, Corine Pelluchon pose la question suivante : « quels sont donc les principes de la justice comme partage des nourritures ? ». Elle en propose 9, que de manière très rapide, j’énumèrerai ainsi : scepticisme moral, recherche de consensus, rapport des êtres humains à l’humanité, rapport des êtres humains aux générations futures, droit de chaque être humain et de chaque animal à la nourriture, droit à l’habitation, respect des autres cultures, organisation du travail et des activités économiques, devoirs envers les animaux.

Le deuxième chapitre ne s’intitule rien de moins que « Reconstruire la démocratie ». Vaste sujet qui dépasse et mes compétences et le cadre du feuilleton gourmand. Je laisse donc le soin au lecteur de découvrir les pistes proposées par Corine Pelluchon.

« Au-delà des frontières nationales », titre du dernier chapitre, le cosmopolitisme qu’envisage Corine Pelluchon suppose « un sujet et une humanité convaincus que l’avenir du monde commun…dépend de leur capacité à instituer les règles d’une justice ». Et la généralisation des mouvements associatifs prouve qu’un « processus culturel est en cours ». Ce processus s’exprime « par le désir de mieux vivre en mangeant mieux, en ayant une nourriture plus saine et plus juste…, de protéger l’environnement, d’encourager un certain type d’agriculture qui respecte notre relation au vivant et valorise le travail des hommes et d’améliorer la condition des animaux ». Mais pour Corine Pelluchon, il faudra continuer, par d’autres travaux, à répondre aux difficultés des éthiques environnementales et animales…parce ce qu’elles se sont adressées à la raison et non au cœur et aux affects ».

 

« Définir des critères universalisables pour penser la condition humaine et, à partir de là, dégager les principes du droit politique et élaborer une théorie de la justice conçue comme partage des nourritures », c’est par cette citation que l’on pourrait conclure l’analyse de l’essai philosophique de Corine Pelluchon.

 

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