Fines herbes

 

Les vingt-huit herbes 

 

Billet de Bénédicte Cartelier:  

 

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Dans son Grand Dictionnaire de cuisine[1] , Alexandre Dumas divise « les vingt-huit herbes qui servent pour la cuisine (…) en herbes potagères, en herbes d’assaisonnements et en herbes de fournitures à salade ». Il énumère ensuite les six herbes potagères [2] , les dix herbes d’assaisonnements [3] (mais il en omet une et compte la ciboule deux fois [4] ) et les douze herbes de fournitures à salade [5] , qu’il qualifie de « fines herbes » [6] et en cite treize (sauf à considérer ensemble les deux cressons). Dumas devait beaucoup aimer le thym et l’estragon qui figurent parmi les herbes d’assaisonnements et les herbes à salade.

Les « herbes de Provence » n’existaient pas encore du temps de Dumas, du moins sous leur nom générique [7] mais elles y sont toutes sauf le romarin et l’origan qui n’apparaît que sous sa forme cultivée [8] . Toutes ? Hélas non, il y aurait aussi la mélisse, le serpolet, la sauge officinale, la salsepareille, la verveine odorante et la vigne rouge mais qui utilise encore l’hysope, le myrte et le paliure ?

J’ai acheté récemment la « Préparation d’Herbes Sauvages du Mont Ida » de la marque Terre Exotique, qui n’est autre qu’un mélange d’herbes de Provence: elle contient les mêmes plantes aromatiques « représentatives de la culture méditerranéenne » que l’on retrouve dans les autres produits plus communs mais celles-là sont sauvages et crétoises tandis que la plupart des autres sont turques ou roumaines et cultivées. Les herbes sauvages authentiquement provençales demeurent sauvages et provençales ; elles franchissent rarement l’opercule des flacons d’ « herbes de Provence ».

Toutefois, certaines marques veulent se démarquer en substituant le royal basilic [9] à la trop commune marjolaine. Le basilic est peut-être royal, il n’est pas provençal [10] et n’a que faire des autres aromates avec lesquels il se trouve injustement mêlé.

 

Le basilic se suffit à lui-même, frais dans la soupe au pistou ou le pesto alla genovese ou simplement poudré sur un plat de linguine. Isabeau ne me contredirait pas, qui avait enterré la tête de son amant dans un vase contenant un pied de basilic auquel elle prodiguait, hélas en vain, les meilleurs soins [11] …

 

De toute façon, je trouve toujours les herbes « de Provence » pas assez finement moulues. Il me reste souvent quelques brindilles de thym coincées entre les dents, c’est tout à fait désagréable et inesthétique. Le basilic n’offre pas de tels inconvénients, preuve de sa supériorité et raison supplémentaire de ne pas le mêler.

 

En guise d’ « issue de table », je citerai la recette de la « Pouldre de duc » tirée du Livre fort excellent de cuysine [12] qui réconciliera, je l’espère, amateurs d’herbes fines et de Provence :

« (…) Prenés persil effeuillé deulx poignées marjolaine effeuillée deux poignées et demye saulge demye poignée ysope autant sariette autant sarpollet Une poignée soulcye une poignée. Et quand cest pour faire farce aulcuns y mettent soulcye et peu de Baselicque. Elles servent à tous potaiges et les fault faire seicher environ la seinct Jehan baptiste. ».

 

1] Alexandre Dumas, Grand dictionnaire de cuisine, Paris, Alphonse Lemerre, 1873.

2] « l’oseille, la laitue, la poirée, l’arroche, l’épinard et le pourpier vert. »

3] « le persil, l’estragon, la cive, la ciboule, la sarriette, le fenouil, le thym, le basilic, et la tanaisie. »

4] Cive et ciboule désignent la même plante (Allium fistulosum), voisine de la ciboulette (Allium schoenoprasum). Toutes deux appartiennent à la famille des Liliacées.

5] « le cresson alénois, celui de fontaine, le cerfeuil, l’estragon, la pimprenelle, la perce-pierre, la corne de cerf, le petit basilic le pourpier, les cordioles de fenouil, le thym, le jeune baume et la ciboulette ».

6] Les fines herbes le sont-elles en raison de leur douce saveur ou parce qu’elles supportent mal la cuisson?

7] Le mélange connu aujourd’hui sous le nom d’ « herbes de Provence » a été inventé par le fondateur de l’entreprise Ducros dans les années 1960. Sa composition n’est pas règlementée mais on y trouve généralement la sarriette, le thym, le romarin, l’origan et la marjolaine.

8] La marjolaine (Origanum majorana) est la forme cultivée de l’origan (Origanum vulgare).

9] Du grec basilikon « royal ».

10] Le basilic est originaire d’Asie.

11] « Elle commença par l'envelopper d'un beau mouchoir de soie, la couvrit ensuite de terre et y planta dessus un très-beau basilic salernitain, dans l'intention de ne l'arroser jamais que d'eau de rose ou d'eau de fleurs d'oranger, ou de ses larmes. (…) Les soins continuels qu'elle en prenait, joints à la graisse que la terre recevait de cette tête, le firent croître à vue d’œil et le rendirent plus beau et plus odoriférant. » (Boccace, Le Décaméron, Quatrième journée, Nouvelle IV, Paris, Victor Lecou, 1846).

12] Ouvrage anonyme publié vers 1540 par le libraire parisien Pierre Sergent et réimprimé à Lyon par Olivier Arnoullet en 1542 puis 1555, le Livre fort excellent de cuysine marque une rupture avec la cuisine médiévale telle qu’elle se présentait dans les manuscrits antérieurs, en particulier celui du Viandier. (d’après Livres en bouche. Cinq siècles d’art culinaire français, Paris, Hermann et Bibliothèque nationale de France, 2001).