GASTRONOMIE ET POLITIQUE

 

Une autre approche interculturelle franco-espagnole  

 

 

Auteur : Sylvie ANCELOT  

(L’Harmattan, 2014)

 

Billet de Bernard Lafon  

 

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Comme bien souvent, le sous-titre est le plus qualifiant.

L’objectif est d’observer, à travers le prisme de la gastronomie, le côte à côte, mais aussi le face à face de deux nations voisines qui depuis longtemps entremêlent pratiques culinaires et pratiques politiques. Sylvie Ancelot brosse à grands traits les origines et les spécificités des deux cuisines, pénétrées l’une et l’autre par l’histoire européenne où les alliances, les traités, avaient presque toujours un épilogue gastronomique, volet indispensable de toute diplomatie. Notre époque contemporaine, ère d’une compétitivité globalisée, génère un besoin de classement. On classe donc les cuisines comme on classe les universités pour en dégager les excellences (qui font d’ailleurs débat) et pointer ce que l’on appelle trop facilement la ou les modernités. Ainsi, la cuisine ibérique serait fortement régionale et conviviale, la française serait plus intellectuelle. Il est vrai que le succès des Lumières fut modeste au pays de Cervantes. Ceci pourrait expliquer cela. On peut sans doute regretter que l’auteure ne s’attarde pas suffisamment sur l’histoire tourmentée du 20ème siècle espagnol, siècle qui donne naissance à ce que l’on peut définir comme une « cuisine d’affrontement et de résistance ». La guerre civile et le régime politique qui en résulta ne laissèrent aucunement la gastronomie en dehors des luttes et des débats politiques. On découvre qu’il existait de délicats petits plats parmi lesquels une soupe à la Mussolini, un colin à la sauce phalangiste, qui ont dû disparaître assez rapidement des cartes et menus, mais qui ne sont pas sans signification. On ne retrouve pas cette gastronomie très particulière en deçà des Pyrénées. En l’état actuel de la recherche, aucune trace, semble-t-il, d’une quelconque « sole à la De Gaulle » ou d’une roborative « potée de Pétain ». En contrepoids, plus durable, la cuisine de Pepe Carvalho, le cuisinier préféré de Manuel Vasquez Montalban.

Aidée par le boom touristique des années 60, cette histoire tourmentée raffermit les cuisines régionales et singulièrement la cuisine basque.

Autre trait distinctif de l’Espagne: l’enseignement et la recherche, avec une université gastronomique de plein exercice, le Basque Culinary Center, logée à Saint-Sébastien et présidée par Ferran Adria, entouré de grands chefs espagnols et internationaux. Dans sa sagesse, l’UNESCO *a reconnu les mérites de l’une et de l’autre. L’Espagne fait partie de la « Diète méditerranéenne »,** la France a son « repas gastronomique des français »***

Portraits de cuisiniers, repères chronologiques, petites et grandes histoires de cuisine, repas « diplomatiques », différences et complémentarités construisent l’architecture de l’ensemble et se succèdent au fil de chapitres dont l’organisation est parfois difficile à appréhender. Un ouvrage néanmoins agréable à lire et documenté qui nous présente un état de ce que l’un a apporté à l’autre et réciproquement, mais aussi deux façons de dire et de faire, à la fois singulières et bien proches aujourd’hui.

 

* voir le site www.unesco.org/culture

**… ensemble de savoir-faire, connaissances, pratiques et traditions, basés sur un modèle nutritionnel qui est demeuré constant dans le temps et dans l’espace... Inscription en 2010, l’Italie, la Grèce et le Maroc en font également partie. S’y ajoutent en 2013 Chypre, la Croatie, le Portugal.> 

***… pratique sociale coutumière, le repas gastronomique met l’accent sur le fait d’être bien ensemble, le plaisir du goût, l’harmonie entre l’être humain et les productions de la nature… Inscription en 2010.>