Chef

 

La saucisse fumée de La Nouvelle Orléans 

Réalisateur : John Favreau  

 

Billet de Vincent Chenille  

 

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Sorti en novembre, Chef est le second film américain en deux mois à parler d’authenticité quant à la cuisine. Ici l’authenticité passe par un savoir-faire local (alors que dans Les recettes du bonheur, c’était plutôt l’inverse, il s’agissait de terroir). Le savoir-faire local, ce sont la saucisse fumée de La Nouvelle Orléans, bonne sur les marchés, mais meilleure à La Nouvelle Orléans, ou du manioc grillé dans le quartier cubain de Miami, ou de la grillade texane, dont la particularité est que la cendre doit se consumer pendant toute la nuit.

John Favreau nous invite à ce parcours, dont l’authenticité est garantie par un food truck. Le chef se déplace et peut ainsi obtenir sur place les produits authentiquement préparés pour les intégrer dans ses sandwichs. Cette authenticité par les pratiques ne l’empêche pas d’être créatif en associant par exemple le plantain dans le sandwich cubain traditionnel. Il trouve même davantage de créativité dans cette cuisine itinérante que dans le restaurant gastronomique, dont il était le chef, où il était contraint de préparer tous ses classiques : l’œuf au caviar, les Saint-Jacques, le moelleux au chocolat. On l’aura compris, le film défend les cuisines locales américaines, plutôt qu’une cuisine internationale (le moelleux, la Saint- Jacques se retrouvent à la carte de tous les restaurants gastronomiques occidentaux). Ce passage d’une cuisine à l’autre, comme dans On aurait pu être amies, se traduit par un changement de compagne. Mais si dans le film français le chef passait de la femme légitime à la maîtresse, dans Chef le parcours est inverse.


L’opposition entre cuisine locale, régionale et cuisine internationale n’est pas nouvelle et se défend, mais l’aspect plus créatif de la cuisine par la confection de sandwichs plutôt que par la cuisine gastronomique laisse perplexe. De fait, le réalisateur John Favreau essaie de traiter en osmose la cuisine et le cinéma. Mais il n’y arrive pas complètement. Réalisateur de blockbusters, de grosses productions américaines comme Iron man, Iron man 2 et Cow boys et envahisseurs, John Favreau réalise avec Chef une petite production. Une petite production qui est également une mise en abyme puisqu’il y tient le rôle principal. Le chef et le réalisateur ne font qu’un. Et lorsque le chef témoigne du bonheur retrouvé à cuisiner ses sandwichs plutôt qu’à travailler dans le restaurant gastronomique, c’est, bien sûr, le bonheur créatif retrouvé du réalisateur John Favreau travaillant sur une petite production plutôt que sur de grosses machines, où le cahier des charges est très contraignant, et où les réalisateurs doivent obéissance aux producteurs qui veulent des produits calibrés d’après des études de marketing. Le parallèle n’est pas totalement absurde et bien des grands chefs se sont retrouvés étiquetés, après des plats qu’ils avaient réalisés avec bonheur, ayant quelquefois des difficultés pour proposer autre chose sur la carte. Néanmoins, je n’ai pas connaissance d’un problème un peu général entre chefs de cuisine et propriétaires de restaurants, les premiers essayant d’innover et les seconds imposant les classiques, parce que ce sont eux qui tiennent les cordons de la bourse. Ce problème existe dans la production cinématographique américaine, pas dans la gastronomie.

Où le parallèle fonctionne bien, c’est concernant le pouvoir de la critique qui a la possibilité de briser des réputations, ruiner des carrières ; davantage encore aujourd’hui avec l’immédiateté de l’internet. C’est ce qui est arrivé au cuisinier John Favreau dans Chef, qui s’est pris de bec avec un critique gastronomique sur les réseaux sociaux. Souhaitant donner libre cours à sa créativité, il est contraint aux sandwichs, car les autres restaurants ne veulent plus l’engager à cause de sa réputation sur la toile. Mais, dans le fond, le chef Favreau, le cuisinier et le réalisateur, n’est pas contre les critiques qui lui ont été faites : elles sont le résultat de la politique normative du producteur, alors que John Favreau voulait élaborer un repas plus créatif. Mais il ne supporte pas le langage des critiques, surtout leur radicalité accentuée par l’immédiateté. La scène où John Favreau défend le repas classique, la grosse production, qu’il avait lui-même critiqué en cuisine, parce que c’est du travail malgré tout, est sans doute la meilleure du film.

C’est pourtant cette scène qui a valu à Chef d’être éreinté… par la critique !