Tables des riches, tables du peuple

 

Gastronomies et traditions culinaires en Provence

du Moyen-Âge à nos jours

 

Auteur : Sandrine Krikorian 

Editeur: Jean Marie Desbois - geneprovence 

 

Billet de Suzy Viboud.  

 

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Sandrine Krikorian n’a pas souhaité s’en tenir à une chronologie des gastronomies provençales ou à un livre de recettes (qui en propose quand même quelques unes dont la brandade de morue et l’incontournable aïoli par Frédéric Mistral) mais plutôt aborder leur évolution au cours des âges et leurs variantes selon les lieux et les milieux sociaux.

Elle souligne également la dimension patrimoniale de ces gastronomies et traditions culinaires et s’appuie essentiellement sur les lieux et musées provençaux qui en témoignent incitant le lecteur à les découvrir. Ce sont le château de Tarascon (repas médiéval à la cour du Roi René), à Marseille, le Musée des Arts Décoratifs de la faïence et de la mode et le Musée Grobet-Labadié (tous deux pour les tables des aristocrates et de la bourgeoisie), le Musée du terroir marseillais de Château-Gombert (art et traditions de la Provence marseillaise), le Museon Arlaten d’Arles (culture rurale et urbaine du « Provençal moyen »)

 

La période médiévale est principalement évoquée à travers le banquet, rituel fondé sur un protocole au centre duquel se trouve la religion avec, à la fin du Moyen-Âge, l’amorce d’une évolution qui met le prince au centre des cérémonies et qui le valorise à travers la représentation théâtrale, le rituel se maintenant selon le modèle chrétien.

Le banquet médiéval est un repas ponctuel à portée politique, c’est aussi le moment de représentation de la hiérarchie où l’on met en avant la richesse de celui qui le donne, où le placement des convives obéit à des règles hiérarchiques, les mets étant différents selon la place que l’on occupe à la table, le mieux étant bien évidemment le plus près de l’hôte. Son déroulement comporte déjà des caractéristiques du service à la française qui sera codifié sous le règne de Louis XIV et se poursuivra jusqu’au XIX siècle. Il comportait jusqu’à huit services, le service du rôt étant central, consistant en des viandes rôties les « jours gras » et des poissons, les « jours maigres ».Les entremets s’inséraient entre les services permettant divertissements et discussions.

La classification des aliments correspondait à un principe hérité de l’Antiquité, « la chaîne de l’être » reposant sur l’idée de verticalité de l’univers, Dieu se situant en haut, et sur les éléments (feu, air, eau, terre) empilés de façon concentrique autour de la terre. D’où la différence de valeur entre un arbre fruitier qui s’élève dans l’air et une rave qui pousse dans la terre, de même entre un volatile et un porc.

La vaisselle, bien évidemment, était un élément important contribuant au faste du repas même si le partage du couvert (écuelle, verre) s’est pratiqué jusqu’au XVIIème siècle.

 

Sandrine Krikorian, se réfère essentiellement au Musée des Arts Décoratifs de la faïence et de la mode et Musée Grobet-Labadié pour évoquer les tables provençales de l’Ancien Régime. Elle aborde l’histoire de la céramique provençale particulièrement réputée aux XVIIème et XVIIIème siècles (faïences moustériennes et marseillaises).Louis XIV encourage l’usage de porcelaine (table royale) et de faïence (tables de l’aristocratie et de la bourgeoisie) en raison des fontes de la vaisselle d’or envoyée à la Monnaie, pour remplir les caisses de l’Etat vidées par les guerres.

Des innovations naissent alors dans les accessoires de table comme dans les mets. Le couvert s’individualise et des couverts de service apparaissent.

 

Les repas de fête provençaux sont rythmés par les fêtes liturgiques et composés de plats correspondant à des traditions culinaires. Religion et coutume païenne, foi chrétienne et superstition s’y trouvent souvent mêlées. La fête de Noël est prépondérante, fête familiale avec le « gros soupa » de la veillée et le « cacho-fiò », rituel autour de la bûche.

Quant à la cuisine quotidienne des Provençaux, elle a connu bien sûr une évolution du Moyen-Âge à nos jours, avec des variations d’un endroit à un autre.

> Au Moyen-Âge le pain était la nourriture de base (blanc, méjan, complet), fruits et légumes du jardin complétaient ainsi que le poisson et la viande dont la consommation à la fin du Moyen-Âge était plus importante qu’à l’époque moderne. La façon de la cuisiner variait selon les classes sociales, rôtie chez les riches, bouillie avec des légumes chez les plus pauvres. Les vins rouge et rosé arrosaient le tout. Aubergines, tomates, artichauts font leur apparition à la fin du XVème. L’huile d’olive était utilisée pour la cuisson de certains mets mais l’apogée de l’olivier ne se situe qu’à la fin du XVIIIème. La trilogie blé/vigne/olivier, caractéristique de la cuisine provençale d’aujourd’hui n’est pas attestée pour le Moyen-Âge.

À partir du XIXème, apparaissent des livres de cuisine provençale, dont le fameux ouvrage de Jean-Baptiste Reboul « La Cuisinière provençale ».

> Aux XIXème et XXème siècles, les repas quotidiens comportaient certaines spécificités selon l’activité ou le métier (ouvriers de Marseille, moissonneurs), leur nombre variait aussi en fonction de l’heure d’embauche pour l’ouvrier, de l’horaire, du lieu de travail. Les moissonneurs prenaient jusqu’à 5 repas dans la journée commencée par le « tue-ver », qui, on l’aura compris, consiste en un verre d’alcool fort.

 

Le  Museon Arlaten et leMusée du terroir marseillais proposent des reconstitutions et maisons de poupée qui permettent de se représenter à quoi ressemblait, au XIXème et XXème, une cuisine provençale, lieu de préparation des repas et cœur de la maison.

 

L’ouvrage de Sandrine Krikorian s’achève sur l’évocation des fêtes actuelles qui, dans divers villes et villages provençaux, permettent à ces gastronomies et traditions culinaires de perdurer. En annexe, notons le rapide historique de la Manufacture de faïence marseillaise de la Veuve Perrin, qui n’aurait pas eu une telle importance sans la remarquable personnalité de Pierrette Candelot.