L'assiette du Touriste

 

Le goût de l’authentique  

Sous la direction de Jean Yves Andrieux et Patrick Harismendy.  

Presses Universitaires de Rennes –

Presses Universitaires François Rabelais de Tours. Collection « Table des hommes »*. 2013.

 

Billet de Bernard Lafon.  

 

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Le questionnement : quelle place l’aliment occupe –t-il dans le voyage ? Il va du nécessaire au plus élaboré pour le voyage dit gastronomique mais il peut glisser de l’un à l’autre et réciproquement.

De même, les cuisines voyagent, se métissent, s’adaptent, se transforment et participent à la construction d’identités nationales ou régionales. Elles s’invitent à la table des touristes, influencées par la géographie et l’environnement des lieux où elles se posent.

Ces paysages gastronomiques sont donc marqués par les productions, leur « être culinaire » et le façonnage de l’industrie touristique en quête de patrimonialisation alimentaire, se voulant tourner le dos aux territoires « macdonalisés » qui d’ailleurs ne rechignent pas franchement à s’adapter aux cuisines régionales établies.

Afin de dresser un état des lieux de la question, la vingtaine de contributions nous invite à cheminer, du 18ème au 20ème siècles, à travers quatre champs de recherche :

- Les produits, en fouillant la littérature commerciale du 18ème siècle, base de la découverte des richesses culinaires pour les touristes des siècles suivants, en exposant le devenir d’un aliment de prestige : la prune de Brignoles, qui participe au renom de la Ville. Examen de la migration de la culture du sarrasin dans l’ouest de la France, supplantée à la fin du 19ème en Normandie par le bocage, le lait, le beurre et qui devient un symbole fort de la Bretagne à travers crêpes et galettes. l’exemple corse où l’alimentaire (les produits miroirs) peut se conjuguer avec la gastronomie, le tourisme et l’identitaire.

- Le repérage de l’identité : l’Arménie et le goût de l’authentique avec le vin, le pain, l’abricot, la mutation du taboulé, à cheval sur trois traditions culinaires : française, libanaise et maghrébine, la sardine en boîte, bien adaptée aux voyages, consommable sous tous les climats, mais aussi expression des traditions régionales, donc vu comme gage de qualité et trait d’union de la diaspora bretonne, tout comme la crêpe la galette et la saucisse.

- La représentation, appelée mise en scène par les auteurs, à travers les guides de voyage, la carte postale, l’exposition internationale de Paris de 1937 : 27 pavillons avaient été regroupés pour former un village des régions où la gastronomie est fortement présente. Idem pour les illustrés pour la famille et l’enfance qui abondent en images de repas tandis que les histoires qu’ils contiennent mobilisent des menus et les plats préférés des contemporains, en tant qu’éléments structurants du récit.

- Dernier champ, l’authenticité : la feijoada, ragoût fait de haricots noirs et de viande de porc, vecteur de l’identité nationale brésilienne, composée de trois origines : indigène, blanche et noire, chacune se retrouvant dans cette préparation. A contrario, le savoir faire des restaurants de Hanoi, agrées par les autorités, qui adaptent au tourisme les recettes traditionnelles en modifiant très sévèrement l’usage des épices et en adoptant le triptyque : entrée/plat/dessert.

Insolites, les routes gourmandes du Québec qui valorisent des produits transformés comme le vin, le fromage, le cidre mais aussi les pratiques de transformation qui leur sont attachées. L’emblématique Pays Basque où gastronomie et produits locaux sont de puissants moteurs d’un sentiment d’appartenance à une identité commune.

 

Ces études de cas, denses et diverses nous exposent in fine la complexe et fragile construction des patrimoines immatériels. Elles sont autant de voyages/découvertes en gourmandise qui amènent nos auteurs à une conclusion sans appel : « l’authenticité d’une cuisine est au patrimoine ce que la pureté est à la race…Si les gastronomies appartiennent aux traditions, alors elles se recyclent, se transforment et l’authenticité n’est qu’une somme d’apports et d’emprunts »**.

On s’en doutait un peu. Encore fallait-il en faire la démonstration, voilà qui est fait et bien fait.

 

*Actes du 2ème colloque international et pluridisciplinaire consacré au tourisme, qui s’est tenu à Saint-Brieuc en juin 2012.

** Sur les emprunts, voir aussi l’exemple de la pasta dans le n° 40 de « Papilles ».