Notre petite sœur

 

Notre petite sœur  

Réalisateur :  Hirokazu Kore-eda

Billet de Vincent Chenille  

 

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Dans ce film japonais, il est peu question de gastronomie (nous n’y sommes pas plongés comme dans Tampopo). On y trouve deux restaurants. L’un est un bistrot, où tous les clients semblent manger du maquereau mariné (sous forme de beignet ou non, voilà où se situe la nuance). On ne peut pas parler de gastronomie, même si tous les clients sont unanimes pour dire que c’est bon, tant l’aspect culinaire paraît limité. L’autre restaurant est un établissement thermal et l’on n’y voit pas l’ombre d’un aliment.

Cependant, ce film a été remarqué pour l’importance de la nourriture. Plusieurs personnes me l’ont signalé (qu’elles en soient remerciées). Il est vrai qu’il y a beaucoup de scènes où les personnages mangent ou font la cuisine en dehors même du restaurant. L’intérêt n’est pas tellement dans les plats, qui constituent un repas japonais moyen : nouilles, pâte de haricot, croquettes de riz, sauce de soja, et, un peu plus rare, des alevins. On remarquera qu’il s’agit presque exclusivement de végétaux. Notre petite sœur ne déroge pas aux règles des films d’autres nationalités, dès lors qu’il s’agit de femmes, il s’agit de repas végétariens. Or le film raconte l’histoire de quatre sœurs vivant ensemble. Il y a bien des allusions au bœuf sauté. Mais il s’agit d’une allusion en classe d’un personnage secondaire, dont on peut se demander s’il ne s’agit pas d’une leçon apprise. La seconde sœur le cite également, parce qu’elle le voit affiché au menu d’un restaurant dehors. Elle fait ce simple commentaire : « N’en parlons pas ».

La nourriture est bonne, qu’elle soit domestique ou celle du restaurant, mais il y a peu de discours sur le goût, si ce n’est pour féliciter la sœur aînée, car ses condiments ne sont pas trop salés. Le réel intérêt alimentaire du film tient dans ses personnages : qui mange et qui fait la cuisine. Ce sont les quatre sœurs qui mangent. Il y a d’autres personnages qui mangent (petit ami, tante, mère), mais toujours en compagnie d’au moins une des sœurs. Et les scènes où ce sont uniquement les quatre sœurs qui mangent sont les plus nombreuses. Aucune explication n’est donnée au fait qu’on les voit manger autant de fois. Mais on sait que dix ans plus tôt le père a quitté le foyer pour aller avec une petite amie. Honteuse d’être ainsi répudiée, la mère a aussi quitté le foyer. Voilà pourquoi les quatre sœurs vivent ensemble. En mangeant, les enfants compensent les parents nourriciers absents. Même s’ils n’ont jamais eu faim.

Côté cuisinier, on est également dans la compensation, le transfert. C’est la fille aînée, celle qui a élevé ses jeunes sœurs, qui fait la cuisine. Quelquefois aidée par l’une de ses sœurs, elle l’a fait pour la famille, ainsi que pour son petit ami. C’est elle que l’on voit faire le plus souvent la cuisine, davantage même que la cuisinière du bistrot. La réconciliation avec la mère aura également une traduction alimentaire. La fille aînée, la plus remontée contre elle, lui offrira un pot de mirabelles de leur jardin (conservées dans de l’alcool) et datant du temps de la grand-mère. Puis elle réalisera le seul plat que lui a appris sa mère, à base de coques et de palourdes. La mère n’aimait pas cuisiner et elle réalisait des recettes qui ne demandaient pas de cuissons longues (donc pas de viandes).

Cette vocation culinaire est intéressante, non pas parce qu’elle nous éclaire sur la culture japonaise, mais parce qu’on retrouve la déficience des parents à l’origine de la vocation de tous les cuisiniers (amateurs ou professionnels) dans tous les films depuis septembre, quelle que soit leur origine nationale. Le jeune africain dans Lamb fait la cuisine à la manière de sa mère décédée et la commercialise car son père, parti à la ville, n’est pas là pour s’occuper de lui. Mais c’est le cas également d’Adam Jones, le chef américain dans A vif, qui a eu une enfance difficile, sans mère et avec un père absent. Mais c’est le cas aussi de Premiers crus, où le fils vient refonder la famille après le départ de la mère et de la déficience du père, qui veut quitter son terroir. Ce sont des traits qui n’étaient pas observables dans Le festin de Babette, Vatel ou même Les saveurs du palais. Il s’agit d’un phénomène nouveau et significatif de par son ampleur et parce qu’il touche de nombreux pays.