Tuade

 

LA TUADE DU COCHON  

 

Billet de Johannès Dumourier  

 

 

En référence aux écrivains G. Lévêque , N. Pellet et V. Balaÿ  

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Ce dix-sept janvier, le froid mordant de la bise, celui qui fait cailler les viandes, envahit le modeste laboratoire de la ferme.

Aujourd’hui, n’en déplaise à Roseline qui l’a détrôné, c’est la fête de Saint-Antoine le grand patron des cochons.

La tradition veut que la queue du porc tué l’an dernier, soit mangée pour la Saint-Antoine. Tuer le cochon développe la convivialité en rassemblant ce jour-là parents et amis venus aider. C’est l‘occasion d’offrir au curé, au postier, à l’instituteur et à quelques amis, la fricassée composée d’un peu de boudin et d’un petit morceau de filet. C’est une sorte de remerciement aux services rendus au cours de l’année.

Au XXIème siècle « la tuade » du cochon est un fait de société en voie de disparition. Au cours de cette fête intime, les femmes s’activent à la cuisine en épluchant, coupant, hachant et pétrissant. Les hommes dans la lueur du jour naissant installent le matériel et poussent la bête. Le feu crépite déjà sous la chaudière, mettant l’eau en ébullition tout comme les officiants d’un jour. L’eau bouillante est indispensable dans le rituel de la mise à mort. Le sacrifice est proche, minutieusement planifié. Il faut faire vite pour ne pas apeurer davantage l’animal qui est solidement attaché sur l’échelle inclinée. Tout se déroule sans faille. Le couteau plonge dans la gorge de la bête, le sang coule sur des mains expertes qui le remuent pour la fabrication du boudin. On retourne le corps sur la braise. On verse de l’eau bouillante sur ce corps inerte, on gratte, on frotte, on racle, on rase, en un tout on prépare la carcasse. Le saigneur (le tueur) ouvre le ventre du cochon avec précision et en sort les entrailles qui seront lavées et travaillées en vue des futures fabrications.

L’heure est venue de partager la brioche en buvant une tasse de café.

Tandis que les femmes s’activent aux fourneaux, les hommes font le dépeçage. Le cochon est décapité, les deux jambons et les épaules sont découpés. Ainsi démembré, les côtes sont détachées et le lard du dos prélevé intact. En marge du nettoyage minutieux des boyaux, le tueur dépose tous les morceaux sur des tables recouvertes de toiles blanches afin de préparer le boudin et la viande. Les oignons et le persil coupés fin, le sel et le poivre en fine poudre, une pincée d’épices, mélangés au sang, précieuse matière qui, avec les fines lanières de lard, deviendra du boudin. La viande musclée des cuisses et des épaules, associée au gras ferme sans couenne est découpée, hachée, pétrie et aromatisée pour être transformée en saucisson. Que dire du fromage de tête recouvert de graisse ? Et les saveurs des pieds et des oreilles du cochon, subtile duo ?

En ce jour de labeur, les repas pourvus et arrosés ajoutent une note de gaîté à ces riches pauses. La journée s’achève dans l’ambiance chaleureuse commune aux tuades.

Puis, avec la précieuse fricassée soigneusement enveloppée dans un torchon, chacun retourne chez lui dans le froid et la bise, affrontant un vrai temps de cochon.