Noè

 

 

L’homme qui aimait les plantes  

 

Réalisateur : Darren Aronofsky  

 

Billet de Vincent Chenille.  

 

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Ce très bon film de Darren Aronofsky nous présente un Noé - ainsi que sa tribu - végétarien. Il semble tout particulièrement apprécier les petites plantes cuites à la braise. Ce régime, dans le film, est très clairement choisi en opposition à celui de Tubal et de sa horde de descendants de Caïn, l’auteur du premier meurtre biblique dans l’histoire de l’humanité. Ceux-ci ont un régime uniquement carné, car la viande « donne de la force ». De la force, mais aussi de la violence et ils sont montrés, comme leur ancêtre, tels des tueurs. Comme dans le dessin animé Le parfum de la carotte, on retrouve cette distinction entre carnivores et végétariens. Cependant, ce n’est pas l’élément distinctif qui les oppose le plus au clan de Noé, car ce dernier aussi donne de bons coups de poings.

Mais il se trouve que les descendants de Caïn ont stérilisé la terre (le paysage est un désert), à force de volonté de puissance, de guerres menées, ce qui a pour résultat que les espèces animales sont en voie d’extinction et la mission de Noé, avec son arche, consistera à les sauver d’un désastre écologique. C’est donc par écologie que le clan de Noé ne mange pas de viande.

Le réalisateur de ce long métrage a expliqué que ce n’était pas avec le texte sur Noé dans la Genèse qu’il pouvait réaliser un film de deux heures, et qu’il lui fallait pour obtenir son film développer le texte. De fait, les dix chapitres consacrés à Noé dans la Genèse ne font que quatre pages. Mais si l’on ne peut critiquer Darren Aronofsky d’avoir voulu développer à partir du texte de la Genèse, on peut lui faire remarquer que, du point de vue alimentaire, son film contredit la Bible : « Et une crainte de vous et une terreur de vous demeureront sur toute créature vivante de la terre et sur toute créature volante des cieux, sur tout ce qui se meut sur le sol et sur tous les poissons de la mer. Ils sont maintenant en votre main. Tout animal qui se meut et qui est vivant pourra vous servir de nourriture. Comme pour la végétation verte, je vous donne tout cela. Seulement la chair avec son âme – son sang – vous ne devrez pas le manger » (Genèse, chapitre 9, versets 2 à 5). Dieu recommande donc à Noé de manger de la viande casher, c’est-à-dire vidée de son sang. C’est une restriction importante, mais moindre que celle de Darren Aronofsky, qui interdit toute viande.

Le réalisateur utilise donc un principe juif pour défendre une philosophie animiste. On comprend bien que le souci du réalisateur est de parler d’aujourd’hui pour faire entendre un message écologiste. Pour être sûr d’atteindre sa cible, il n’hésite pas à faire taire Dieu, dont la voix domine les chapitres de la Genèse pour placer ses propos (comme le « Soyez féconds, croissez et multipliez ») dans la bouche de Noé. Satisfaisant ainsi ceux qui croient et ceux qui ne croient pas en Yahvé, il court aussi le risque de ne satisfaire ni les uns ni les autres. De fait, le film a suscité beaucoup de polémiques, particulièrement Outre-Atlantique. On ne peut pourtant pas reprocher à Darren Aronofsky d’avoir voulu illustrer le message biblique en l’adaptant au cinéma. D’autres l’ont fait avant lui. On ne peut pas non plus reprocher à l’auteur de défendre un message écologiste et animiste, mais, dans ce cas-là, d’autres récits de fiction sont sûrement plus adaptés que la Bible. Subtiliser au message des hébreux une philosophie animiste ce n’est pas servir le message biblique, c’est s’en servir.

A moins de considérer le film comme un plaidoyer envers les Juifs pour les inviter à un régime végétarien qui respecte les préceptes bibliques, mais qui évite les oppositions religieuses ancestrales autour de la viande. Un régime de paix entre les communautés ? Un régime à l’évidence qui accroît les interdits.