La vieille andouille de boyaux de Charlieu

Patrick Millot
Patrick Millot

 

Reportage chez le dernier charcutier

de l'andouille disparue  

 

Billet de ALain Lewinger

avec la complicité très active de Johannès Dumourier.  

 

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Charcuterie Millot, jeudi 6 mars 2014, 14 heures

Cette charcuterie a été reprise par le père de Patrick en 1955 qui lui a succédé en 1990 après avoir travaillé chez Maingue à St Denis de Cabane, entreprise charcutière aujourd’hui disparue.

Son père et lui-même ont reçu de très nombreuses distinctions notamment pour leurs andouillettes, le jambon persillé et le fameux pâté de campagne (par tiers, gorge de porc, poitrine de porc et foies de volaille) primé à Briare et la terrine de gibiers qui obtint le 1er prix au concours de Sully-sur-Loire.

Pour Patrick Millot, la fabrication de la vieille andouille de boyaux de Charlieu remonte au moyen âge, et se distingue d’autres spécialisés comme l’andouille de Revin (Ardennes), de Reims, de Troyes (Champagne –Ardennes), de Vire (Normandie), de Guéméné (Bretagne), du Val d’Arjol (Franche-Comté), Cambrai (Nord) ou de Jargeau (Centre), tant par sa composition 100% boyaux que par le lent procédé de fabrication.

 

Voici venue la disparition de cette spécialiste charcutière qui a tant réjoui les nord foréziens depuis des siècles. Les nombreuses manutentions induisent un tel coût de production artisanale qu’il devient impossible de la vendre à un prix acceptable du public : prés de 100€ le KG !

 

Du temps où Patrick Millot et son ouvrier étaient encore jeunes, les amateurs achetaient l’andouille crue et la faisaient cuire eux-mêmes avec toutes les précautions requises ; le temps passant, ils finirent par les demander déjà cuites et les réchauffaient dans un peu de bouillon de cuisson fourni à cet effet.

 

La vieille andouille de boyaux de Charlieu se dégustait tiède avec des pommes de terre en robe des champs charollais ou froide, sur une bonne salade très assaisonnée.

 

 

Grâce à Johannès, nous faisons revivre peut-être une dernière pratique grâce à l’aimable concours de Patrick Millot et de Philippe Robin, son ouvrier dans la maison depuis 30 ans.


Pour obtenir les 12 kg de boyaux de gros intestins reçus ce matin, il aura fallu abattre 6 à 7 cochons. Un travail long et pénible attend les deux hommes à qui il faudra une heure pour « dégraisser le chaudin », à l’aide d’un grand couteau régulièrement aiguisé pour racler au plus juste chaque face des boyaux préalablement ouverts.

 

 

Enfin, égouttés, ils sont placés au frigo à 5° pendant 24 heures. Le lendemain, ils sont grossièrement découpés en lanières d’environ 3 x 10 cm. Ils passent alors à l’assaisonnement : au kg, comptez 20 g de sel, 2g de poivre, 1 g de muscade et de quatre épices ; on arrose le tout de quelques poignées d’échalotes fraîches hachées, de ¾ litre de vin blanc et d’ ¼ litre de gnôle ou cognac ou d’armagnac. Après un long brassage, les voilà remis au frigo pendant une semaine mais sans être toutefois oubliés car ils sont « touillés »régulièrement.

A la fin de cette semaine de repos, arrive le temps de l’embossage, indifféremment en rosettes ou en sacs (c’est la même grosse rosette utilisée pour l’andouille de Charlieu d’après la recette de la Confrérie)) selon la taille que l’on désire obtenir. Une fois les lainières attachées, les voilà « poussées » dans les sacs pour réaliser 8 andouilles (seulement) de 40 cm d’environ 2 kg. 

Il faudra encore attendre pour les déguster car maintenant elles sont mises au sel pendant 3 semaines dans une daubière placé dans une cave à 10/12° où petit à petit, l’eau s’échappe des sacs qui rétrécissent régulièrement en baignant dans l’eau expulsée, saumurée et parfumée de carottes, feuilles de laurier, thym, oignons et ail. Après ce bain, les sacs sont égouttés par pendaison pendant plus de 48 heures et mis au séchage pendant 3 semaines dans un lieu ventilé : une croûte de sel apparaît au bout d’une semaine.

L'andouille devient blanche de sel au bout d'une semaine

Puis vient le temps du dessalage : les sacs sont remis pendant 2 à 3 jours dans une eau fraîche renouvelée toutes les 8 à 12 heures.

Enfin, arrive le moment de tous les dangers : la cuisson. Elle démarre à froid dans une eau non salée, aromatisée de carottes et bouquet garni ; pendant 3 heures, on surveille que la température ne dépasse pas 90 à 95° sinon les boyaux éclatent et l’andouille est perdue : opération délicate d’autant que les sacs ne doivent pas être piqués. Cette cuisson réduit leur taille à 12/13 cm et leur poids à 400 g. On obtient donc après 8 semaines de dur labeur et de surveillance constante moins de 2 kg de produits pour 12kg de boyaux.