Bertrand Marquer et Éléonore Reverzy - La cuisine de l’œuvre au XIXème siècle

 

Faim(s) de littérature :

regards d'artistes et d'écrivains  

Ouvrage collectif sous la direction de Bertrand Marquer et Éléonore Reverzy  

Editeur : Presses universitaires de Strasbourg, 2013  

Billet de Bénédicte Cartelier.  

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Ce livre réunit les actes du colloque « Faim(s) de littérature » organisé du 13 au 15 octobre 2011, à l’Université de Strasbourg, sur les rapports entre la démarche de l’ingestion et celle de l’écriture.

La première partie (« Diète littéraire ») explore les influences du régime alimentaire sur l’écriture, depuis la frugalité de Joseph Joubert à la boulimie des petites filles modèles de la comtesse de Ségur en passant par les « nourritures bizarres » d’Alexandre Dumas (l’ours), Balzac (le café et autres « excitants modernes »), Gautier, qui détaille dans un texte peu connu (« Gastronomie britannique » in Caprices et zigzags, 1852), la recette de la soupe à la tortue. Les écrivains étrangers ne sont pas oubliés et figurent ici sous le signe de l’inappétence, avec les figures de Shelley, Melville et Kafka.

La deuxième partie (« Le vivre et le couvert ») analyse le repas comme métaphore de la société et manifestation des rapports de force entre le peuple toujours exploité, la bourgeoisie triomphante et l’aristocratie, grâce à une relecture de l’œuvre de Stendhal sous l’angle de l’économie politique, une description minutieuse de la série d’estampes que Grandville fit paraître de 1831 à 1832 sous le titre Carte vivante du Restaurateur, une petite « physiologie » du pique-assiette autour des œuvres de Balzac (Le Cousin Pons), Eugène Scribe (Le Gastronome sans argent), Edmond et Jules de Goncourt (Manette Salomon), Maupassant (L’Aveugle), Courteline (Les Boulingrin), sans oublier bien sûr Jules Renard (L’Écornifleur). Cette deuxième partie se clôt par deux contributions portant sur des archives littéraires : la première est une lecture « ethnocritique » de La Conquête de Plassans d’Émile Zola ; la seconde explore les cahiers préparatoires au projet avorté du roman de Huysmans, La Faim, récit du siège de Paris de 1870-1871.

Enfin, la dernière section (« Goût, dégoût, ragoût ») aborde le langage culinaire de la critique artistique avec les nombreux articles de critique littéraire et artistique de Zola dans lesquels le vocabulaire de la cuisine est souvent convoqué à des fins dépréciatives, de même que dans les légendes des caricatures de Bertall, André Gill ou Cham se moquant de la peinture officielle des Salons. Cette conception négative de la faim se rencontre aussi dans les nouvelles de Maupassant, dès lors que les protagonistes appartiennent au peuple, mais se fait positive quand manger devient l’affaire de gens bien élevés. Enfin, les rapports d’André Gide avec la nourriture, entre inappétence et gourmandise, apparaissent comme la métaphore de l’abandon du symbolisme de ses débuts, même si l’écrivain ne peut échapper totalement à la recherche de la beauté pure.

  Cet ouvrage, riche et documenté, offre l’intérêt de présenter des œuvres méconnues d’auteurs connus mais aussi d’auteurs « mineurs », voire totalement oubliés tels que Xavier Forneret. Le lecteur trouvera là matière à satisfaire sa curiosité, d’autant que les notes de bas de pages sont suffisamment précises sans pour autant alourdir le texte. On peut regretter toutefois la faible représentation des écrivains étrangers (un seul texte leur est consacré), alors que d’autres auteurs auraient pu être convoqués (Goethe, Lord Byron, Emily Brontë…), de même que celle des arts plastiques. A l’inverse, on note quelques répétitions (deux textes portent sur Zola avec, par endroits, les mêmes citations). Enfin, deux contributions apparaissent « hors sujet » et un peu «jargonnantes », mais on n’est pas obligé de les lire...