Mangerons-nous encore ensemble demain ?

Les alimentations particulières

de Claude Fischler

Odile Jacob, 2013, 267 pages

par Bénédicte Cartelier

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Les actes du colloque « Les alimentations particulières » organisé par l'Observatoire Cniel des habitudes alimentaires (OCHA) à Paris les 19 et 20 janvier 2012 viennent de paraître aux Éditions Odile Jacob sous la direction de Claude Fischler, sociologue et directeur de recherche au CNRS, sous le titre Les alimentations particulières, Mangerons-nous encore ensemble demain?

Cet ouvrage rassemble les contributions de dix-sept chercheurs internationaux de plusieurs disciplines scientifiques (médecine, économie, histoire, sociologie, psychologie...) regroupées en quatre parties (Allergies et intolérances, Les régimes sélectifs, Les régimes restrictifs, Convivialité, Commensalité et individualismes?) pour tenter d'analyser l'individualisation croissante de l'alimentation observée dans les sociétés contemporaines.

Dans son introduction, Claude Fischler rappelle que l'alimentation est habituellement collective et il souligne l'importance du rôle des repas pris en commun dans la socialisation des individus. Un hôte invité à partager un repas doit faire honneur aux plats proposés et refuser de la nourriture revient à refuser la relation. Or, de plus en plus, celui qui reçoit doit faire face aux exigences de ses invités: allergies alimentaires, intolérance au lactose, intolérance au gluten, régimes divers... Une part croissante de la population des pays développés revendique ainsi une alimentation particulière.

Pourquoi une telle évolution? Méfiance collective à l'égard de l'alimentation industrielle après les récents scandales agro-alimentaires, autonomisation croissante des individus, obsession de la santé et de la minceur, préoccupations liées à l'écologie? Les raisons sont multiples et complexes.

Parmi les dix-sept articles, je retiendrai notamment celui de l'historien Florent Quellier qui montre comment, dans la France d'Ancien Régime, la liberté des choix alimentaires des individus étaient fortement contrainte par la naissance, l'alternance maigre-gras imposée par l’Église catholique et par le problème de l'approvisionnement dans une économie de pénurie, autant de contraintes qui ont disparu de la société contemporaine. Autre point de vue historique, celui du Canadien Harvey Levenstein qui montre que, si la peur alimentaire est une composante essentielle de la condition humaine, les solutions ont d'abord été collectives et nationales avant de devenir, depuis une quarantaine d'années, de plus en plus individuelles.

Même si la plupart des contributions tendent à démontrer la pertinence de l'observation initiale d'une individualisation croissante des pratiques alimentaires, la conclusion de l'ouvrage est beaucoup plus nuancée. Non, nous ne mangerons pas nécessairement seuls demain, surtout dans des pays comme la France dans lesquels les modèles traditionnels résistent mieux. Mais il faudra sans doute inventer de nouvelles formes de commensalité, suffisamment souples mais suffisamment ritualisées pour permettre à chacun de se retrouver ensemble à la table commune.

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